- Sami Mhenni – Expert et militant écologiste –
Vous pouvez prier, chanter, danser … il y aura de moins en moins de pluie pendant les futurs hivers tunisiens.
Un constat alarmant :
En Tunisie, les années de sécheresse se suivent mais ne se ressemblent pas et 2022 ne déroge pas à la règle. Après un été précoce et anormalement chaud, une canicule a « balayé » pendant des semaines la Tunisie du nord au sud et la vague des incendies, nous sommes en train de vivre les prolongations avec un automne « estival » sec et chaud.
Notre pays a toujours connu de nombreuses années de sécheresse. Avec le temps, on s’est résigné à admettre un cycle de 3 ans : une année excédentaire, une année moyenne et une année déficitaire. Mais ça c’était sans compter sur les dérèglements climatiques qui font que la fréquence des épisodes de sécheresse semble augmenter et se succéder rapidement.
En Tunisie, l’agriculture utilise 80% de nos ressources hydriques. C’est aussi une agriculture pluviale. En effet, moins de 10% des terrains cultivables sont en irrigué. La productivité du secteur agricole est donc intimement liée à la pluviométrie.
La situation des barrages est alarmante. Ils affichent un taux de remplissage moyen de 30% avec moins de 15% pour ceux du Centre et du Cap-Bon. Ainsi par rapport à la moyenne des trois dernières années (de sècheresse aussi) on enregistre un déficit d’environ 300 millions de m3. La triste réalité a été un choc pour les internautes qui ont découvert l’ampleur de la catastrophe par les photos de nos barrages publiées en cette fin d’année 2022 sur les réseaux sociaux.
La Tunisie a connu les trois dernières années un climat plus ou moins sec. L’année agricole, 2022-2023 qui démarre, risque de connaitre un électrochoc que nos décideurs, nos officiels et nos politiciens ne mesurent pas son impact sur la sécurité nationale. A l’image de nos concitoyens, certains sont préoccupés par une opposition folklorique, d’autres cherchent une légitimité satirique et enfin, ceux qui sont occupés à gérer le quotidien. L’Institut national de météorologie et les experts en météorologie n’y vont pas par quatre voies, ils ne prévoient aucune précipitation jusqu’à la deuxième quinzaine du mois de janviers 2023.
Dans un contexte national de crise « politique » et de graves difficultés socio-économiques, la sécheresse qui sévit aura inévitablement des répercussions très sérieuses sur le milieu rural, sur la production agricole, sur la population et l’économie du pays d’une façon générale.
Toute la saison agricole se jouera à la « 90eme minute ». Je m’explique. Normalement, pour les grandes cultures, l’automne correspond à la saison de la préparation du sol et du semis. L’absence de la pluie en cette période va beaucoup influencer la décision des agriculteurs : Semis ou Pas semis ? Telle est la question puisque les enjeux ne sont plus économiques uniquement mais de sécurité nationale. Mais est ce qu’on a le choix que de pousser les agriculteurs à prendre le risque de tout perdre ? Car rien n’est plus acquis même les pluies de février 2023 sont en « ballottage ».
L’inévitable se réalisa et on enregistre déjà les refus de certains agriculteurs de semer leurs terres.
Mais où sont passés les nuages pluvieux ?
La région méditerranéenne est considérée comme HotSpot du changement climatique où son réchauffement se produira 20 % plus rapidement que la moyenne mondiale. D’ici 2100, des études ont montré que la température moyenne de l’air en Méditerranée augmentera entre 3 ◦C et 4 ◦C, entraînant une diminution de 4% des précipitations pour chaque +1 ◦C de réchauffement climatique.
Normalement, un monde plus chaud devrait être un monde plus humide. Plus l’eau ne s’évapore, et à chaque degré d’augmentation de température, la capacité de l’air à retenir la vapeur d’eau augmente de 7%, pour enfin tomber inévitablement sous forme de pluie, quelque part. Pas pour la mer méditerranée.
La topographie du bassin méditerranéen détermine la configuration des vents et a un impact sur le flux d’air chaud dans l’atmosphère d’une manière qu’il crée une zone de haute pression au-dessus de la Méditerranée. De plus, dans notre région, la différence du taux de réchauffement entre la terre et la mer tendrait vers zéro ce qui renforcerait la présence de la haute pression au-dessus de la Méditerranée. C’est pour cette raison que les épisodes de basse pression associés à des nuages de pluie sur la Méditerranée deviennent moins probables, selon les simulations climatiques.
Selon le « Journal of Climate » de l’ « American Meteorological Society », les pluies hivernales devraient diminuer considérablement, à mesure que la pression atmosphérique sur la méditerranée augmente, pour réduire les précipitations de 10% à 60%.
La persistance de cette haute pression fera de sorte que les hivers méditerranéens deviendront de plus en plus secs. Les précipitations hivernales pourraient atteindre une baisse moyenne de 40 %. La recharge des eaux souterraines diminuera également d’environ 38 %.
Don’t panic … organize !
Le changement climatique étant un problème mondial, de nombreux pays grands producteurs et exportateurs de denrées alimentaires sont touchés par la sécheresse. D’autres, et non les moindre, sont en guerre. Cette situation a entrainé une hausse importante des prix des produits alimentaires ce qui rend plus difficile l’importation des produits stratégiques par des pays comme la Tunisie qui ont le couteau du FMI sur la gorge.
Et pourtant, il est grand temps d’agir et vite en prenant des mesures urgentes parmi lesquelles :
• Activer la commission nationale et les commissions régionales de prévention des calamités et d’organisation des secours. En effet, le suivi de l’évolution sur le terrain est indispensable pour adapter les mesures à prendre.
• Arrêter un programme d’aides aux agriculteurs pour la conservation de nos ressources agricoles et génétiques.
• Une restructuration de la SONEDE et réduire au maximum les pertes sur son réseau.
• Actualiser notre « Stratégie eau 2050 » et le nouveau-né « Le Code des eaux » en y intégrant les nouvelles données climatiques.
• Sonner la mobilisation pour les eaux non conventionnelles
• Réviser la carte agricole et interdire les cultures gourmandes en eau et sélectionner des variétés adaptées à la sécheresse. L’exemple des nouveaux plants d’oliviers grecs et espagnols est à vomir.
• Sensibiliser et éduquer tous les utilisateurs : agriculteurs, industriels, hôteliers et citoyens à la lutte contre le gaspillage et pour rationaliser son usage.
• Subventionner les Méjils, le dessalement solaire et promouvoir l’utilisation des polymères biodégradables super-absorbants dans des cultures bien précises.
En attendant que ça tombe
Comme pendant chaque grande sécheresse, partout dans le monde, on cherche refuge dans les « soubassements socioculturels ». A chacun sa « niche » pour espérer défier les lois de la physique et faire apparaitre la pluie en priant, en dansant, en chantant, en sacrifiant …
Désespoir pour désespoir, je suis prêt à me planter une plume et à faire la « Native American Rain Dance » et rentrer en transe jusqu’à provoquer un orage et ainsi hydrater les veines asséchées de Gaia. Qu’importe ? Pourvu qu’on arrive à sensibiliser nos concitoyens au problème de la sécheresse qui s’installe dans la durée.