par BEN –
À première vue, ce feuilleton semble des plus classiques, tant tous les ingrédients s’y trouvent réunis : le mafieux tout-puissant, le maire aussi corrompu que vénale est sa bedaine, le café glauque où s’enlisent les âmes désabusées, le dispensaire de santé aux ressources bien trop faméliques, le poste de police aussi désœuvré qu’inutile, le fou du village débitant ses élucubrations, les médias soumis à la parole unique…et les habitants qui se débrouillent tant bien que mal pour y vivre et survivre.
Ah ! Mais cette Ragouj qui nous est contée sur les ondes de Nessma TV n’est qu’une bien pâle aperception de cette pépite scintillante dans le vaste océan des feuilletons du mois sacré.
Abdelhamid Bouchnak, nous offre ici une œuvre d’une singularité fascinante, où se mêlent mystère et humanité vibrante. Ce village de Ragouj, véritable microcosme à l’image de la Tunisie elle-même, se révèle être un théâtre d’ombres et de lumières. Loural, cet homme puissant aux relents mafieux, y règne en maître absolu.
Tel un marionnettiste retors, il manipule un maire corrompu – Sabri Oueslati, dans une performance que l’on découvre pour la première fois d’une maestria saisissante – et une police réduite à l’impuissance. Sa langue de bois, distillée par des médias complaisants, résonne dans le village comme un oracle mensonger. L’unique café, lugubre antre où se réfugient les habitants terrorisés, devient le théâtre des murmures et des frustrations inavouées.
Mais au cœur de ce microcosme assombri par la peur, éclosent des histoires d’amour, telles des fleurs sauvages épanouies dans un paysage aride. Une poésie, une innocence se mêlent à ces relations naissantes, insufflant un souffle d’espoir dans ce Ragouj étouffant. Ô délice ! La troupe musicale du village, singulière touche de gaieté, apporte ses accents de fête. Trompettes et accordéons résonnent aux rythmes tziganes et balkaniques, contrastant avec l’atmosphère oppressante. Mais qui est donc ce fou du village, personnage énigmatique et muet ? Seul témoin des agissements de Loural et de ses sbires, il détient les clés d’une vérité dissimulée, des preuves cruciales à déchiffrer. Son silence assourdissant et ses danses énigmatiques confèrent à ce personnage une aura à la fois tragique et fascinante.
La mise en scène d’Abdelhamid Bouchnak, précise et inventive, n’est pas sans rappeler les œuvres de ces grands maîtres que sont Kusturica et Toni Gatliff, comme l’a souligné avec justesse le réalisateur Brahim Letayef dans un statut Facebook. Un réalisme magique mêlant le réel à l’imaginaire, un humour subtil éclairant les situations les plus sombres, une musique devenue élément central du récit, et des personnages attachants évoluant dans un monde souvent hostile. Gros plans saisissants, jeu d’acteurs vibrant, dialogues simples et authentiques… Une toile envoûtante se tisse, capturant l’essence même de la vie tunisienne.
Ragouj, c’est un récit poignant et vibrant, explorant les profondeurs de l’âme humaine et mettant en lumière la force de l’espoir face à l’oppression. Une intrigue savamment distillée qui nous tient en haleine, nous poussant à dévorer chaque épisode pour en connaître la suite. Bien plus qu’un simple feuilleton, Ragouj est une expérience unique, un bijou à ne manquer sous aucun prétexte !