Street Art – Quand un artiste se mue en effaceur – par Hatem Bourial

La localité de Hara Sghira à Djerba est réputée pour les oeuvres d’art qui habitent les murs de ses rues. Malheureusement, l’oeuvre de l’artiste Abbés Boukhobza vient d’être effacée par des mains coupables. C’est un vent de consternation qui souffle sur les milieux artistiques et associatifs de Djerba depuis dimanche dernier.

En effet, la torpeur estivale a été ébranlée par un geste éradicateur d’un autre temps, un geste ciblant une oeuvre d’art collaborative réalisée par l’artiste Abbés Boukhobza. Depuis avril 2020, Abbés Boukhobza s’est lancé dans un projet culturel né aux premiers jours du confinement. Il a ainsi réalisé de nombreuses fresques à travers l’île de Djerba puis a poursuivi son geste créateur dans d’autres régions. L’initiative de cet artiste a été très bien accueillie et partout à Djerba, petits et grands ont soutenu son effort et participé à ses créations reconnaissables entre toutes.

L’oeuvre disparue de l’artiste Abbés Boukhobza, connu à l’internationale, pour ses fresques murales

Ceci dit, pour le contexte, il faut ajouter que l’un des villages de Djerba, en l’occurence Hara Sghira, est également réputé pour la qualité des oeuvres de street art qu’il abrite. En effet, les rues de ce village regorgent de fresques murales réalisées dans le cadre du projet Djerbahood. Cette initiative de Mehdi Ben Cheikh avait rassemblé des artistes de plusieurs horizons pour justement habiller d’art les murs d’Erriadh, autre nom du village. Là aussi, l’initiative a été bien accueillie et a donné de bons résultats puisque grâce à Djerbahood, les visiteurs touristiques incluent désormais Hara Sghira dans les circuits. Parmi les nombreuses fresques de Abbés Boukhobza, l’une d’elles se trouve à Hara Sghira sur la façade de l’ancienne école juive. Cette fresque a été réalisée en accord avec les membres de la communauté juive de Djerba et avec leur soutien matériel. Seulement, cette fresque vient d’être littéralement effacée le dimanche 8 août et, selon les témoignages des riverains et des commerçants présents, ce serait Mehdi Ben Cheikh qui aurait accompli ce méfait. L’émotion est d’autant plus grande à Djerba que cet acte incompréhensible vise un enfant de l’île, réputé pour son engagement et dont la notoriété est internationale. De plus, cette oeuvre appartient moralement à la communauté de Hara Sghira et nul ne peut s’arroger brutalement le droit de la détruire. Pour le moment, il n’est pas clair si Mehdi Ben Cheikh a accompli cet authentique déni artistique en personne ou bien en tant que donneur d’ordres. Ce qui toutefois semble avéré et choque énormément les habitants, c’est que cet acte barbare serait lié à la présence de Djerbahood et son antériorité par rapport à l’initiative de Boukhobza. Ce qui se dit à haute voix et circule dans les réseaux sociaux peut se résumer dans ces mots d’Annie Kabla qui écrit sous forme de coup de gueule : « Personne ne sait pourquoi. Est-ce qu’il pense que les murs de la hara lui appartiennent ou bien est-ce une vengeance ciblant le bel art de Abbés Boukhobza ». Kabla poursuit en écrivant : « Monsieur de Djerbahood (pas envie de dire votre nom maintenant), on attend des explications claires et pas seulement ça, l’histoire ne s’arrêtera pas là. »Il faut dire que l’émotion est très vive car la population ressent que l’effaceur se comporte comme en terrain conquis et semble vouloir jouir de l’exclusivité des murs du village quitte à détruire ce qui ne relève pas de sa propre initiative. Nul ne peut transformer en fief féodal un arrondissement municipal. Comme il ne saurait y avoir de contrat exclusif à propos d’une intervention plastique. Reste maintenant l’aspect le plus lamentable de l’affaire.

Comment un artiste peut-il détruire une oeuvre d’art?

Question tragique qui souligne la brutalité et l’extrême sauvagerie du geste. En plus, un nauséabond relent de sectarisme accompagne cette méprisable démarche qui sous-entend que Abbés Boukhobza ne peut prétendre cohabiter avec les véritables artistes, ceux qui sont dans les bonnes grâces de monsieur Djerbahood. Triste affaire à vrai dire. Faut-il ajouter que dès à présent, la mobilisation a commencé afin de réaliser une nouvelle fresque de Abbés Boukhobza au même endroit? Ce ne serait que justice alors que l’auteur de ce crime contre l’art devrait rendre compte de ses actes justement devant la justice.

Le MiRÓ tunisien

Hatem BOURIAL

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