QU’AVEZ-VOUS FAIT DE SOUSSE : MA PERLE DU SAHEL ?

  • Dr. Abdelaziz Ben Jebria –

Je suis rentré à Ksibet-Sousse (mon Bled natal) au début du mois de novembre pour savourer mon habituelle cueillette des olives que j’apprécie sans limite pour mon plaisir personnel et pour mon amour propre envers l’olivier ; merci, ma mère, pour cet héritage précieux.

Mais, cette olivaison fut malheureusement rapide et n’a duré que cinq jours, sècheresse oblige. Tristement, la récolte, en cette saison 2022, est médiocrement semblable partout au Sahel (gouvernorat de Sousse). Alors pour ne pas me laisser mourir inactivement d’ennui, j’ai décidé de passer le reste de mes jours de repos en Tunisie à jouer au petit Photographe-Rapporteur, pour mettre en exergue le contraste frappant de deux lieux actuels : celui de Sousse, la citadine, et celui d’une des régions agricoles de Kairouan.

Pour ce faire, j’ai déambulé quelques jours tout seul dans la déplorable Jawharett Essahel (Perle-du-Sahel) ou ce qui reste de sa glorieuse époque bourguibienne ; puis je me suis promené un autre jour, avec mon ami Khemaïs, dans l’enviable Chogafia (ﺍﻟﺷﭬﺎﻔﻴﺔ), une localité agro-rurale du gouvernorat de Kairouan.

Je dois dire d’emblée qu’à la fin de mon parcours déambulatoire, je n’ai plus de larmes pour pleurer sur l’état lamentable de Sousse. Ses édifices et ses parcs hôteliers croulent sous les décombres et les plantes rudérales.

Pourtant, ils sont situés dans les quartiers les plus prestigieux de la ville ; mais ils sont malgré tout abandonnés à leurs tristes sorts depuis la pseudo-révolution ou plutôt révolte.Je ne peux pas décrire tous les quartiers, car il faudrait rédiger tout un livre pour accomplir cette mission.

Mais, je voudrais cependant citer et montrer quelques exemples qui ont éclaté, en flagrant délit, à mes yeux. Commençons d’abord par Beb-Jedid, qui est le siège de la municipalité de Sousse (Mairie), et qui se trouve juste en face du Port des pécheurs. C’est aussi le quartier des petits commerçants, des garagistes, et surtout de la fameuse Annexe du Lycée des Garçons où toute une génération, la mienne, avait débuté ses études secondaires.

Cette Annexe m’évoque un souvenir inoubliable, car c’est là que j’ai commencé mes sensations libertines de préadolescence citadine, après avoir vécu une enfance villageoise naïvement vertueuse. Eh bien devinez quoi ? Cette chère Annexe me fond actuellement le cœur, car elle est en ce moment-même la résidence des rats, des souris et des serpents, et le lieu de métamorphose des insectes et de tissage des toiles d’araignées. Elle est abandonnée pour pourrir en ruine, comme d’ailleurs sa voisine, l’ex-Banque du Sud, devenue Attijari-Bank du Maroc (je crois) qui n’est apparemment pas intéressé à sa rénovation. Par pudeur intimement nostalgique, je n’ai pas voulu photographier mon école dans son état actuel. Tout ce que j’ai pu faire est d’essuyer mes larmes qui perlaient, malgré ma retenue, et de pousser mes jérémiades en m’adressant aux fautifs pour leur dire « Qu’avez-vous fait de ma première école citadine ? »

Et j’ai poursuivi mon chemin vers Beb-Bharr (Porte de la Mer), le centre de la ville ; puis j’ai bifurqué du côté du Magasin Général en passant devant la pâtisserie de Pascal (ma favorite), tout en me dirigeant tout droit vers la mer pour atteindre cette plage particulière du petit-peuple, au bord de laquelle j’aimais prendre paisiblement, de temps à autre, un café en compagnie de mon jeune cousin-aveugle, Ridha.

Et c’est en jetant un coup d’œil attentif sur l’ensemble des immeubles qui longent la plage que j’ai constaté que la plupart des édifices sont dans un état de détresse piteusement navrante. Jugez vous-même par ces images. Quant à moi, je continue à me lamenter sur leur sort tout en m’adressant encore aux fautifs pour leur dire « Qu’avez-vous fait de la façade de ma petite plage de Beb-Bharr ? »

Et j’ai repris mon chemin sur la fameuse avenue Habib Bourguiba qui débute au Beb-Bharr et qui mène à la Corniche de Boujaâfar. Rappelons que c’est l’avenue des banques, des agences de voyages, des magasins-chics de vêtements et chaussures, du Grand Théâtre, mais aussi de l’hôtel Sousse-Palace qui est, je crois, acheté et bellement rénové par un groupe algérien ; c’est l’exception d’une réelle et heureuse ressuscitation. Par contre, beaucoup de magasins commerciaux avaient été tristement transformé en fast-food ou sont fermés ; d’autres sont en délabrement voire même en déperdition. Les images témoignent par eux-mêmes de la tristesse douloureuse de ce patrimoine. Du coup, j’ai imaginé Bourguiba pleurer dans sa tombe tout en demandant aux fautifs « Qu’avez-vous fait de ma belle Avenue ? »

Et j’ai continué mon chemin sur la Corniche de Boujaâfar qui est la belle avenue des promenades estivales, longeant d’un côté le bord de la mer et sa jolie plage, et de l’autre côté les hôtels. C’était aussi le lieu du fameux carnaval d’Aouesou (calendrier berbère), un joyeux défilé festif. Il ne reste malheureusement plus de quoi être fier de ce magnifique évènement culturel. Et on ne voit en ce moment que des hôtels agonisants, des débris et des détritus qui témoignent de la névralgie faciale de cette Corniche qui était la fierté de la Perle du Sahel. En regardant la triste scène, j’ai éprouvé instinctivement une profonde émotion traumatique, tout en m’adressant aux fautifs pour leur dire « Qu’avez-vous fait de ma belle et joyeuse Corniche ? »

Et j’ai finalement rebroussé chemin en me dirigeant vers la rue, longeant le Jardin de Sidi Boujaâfar (le marabout) parallèlement à l’avenue H. Bourguiba, pour saluer mon défunt cinéma préféré, Vox. Ce malheureux ne fonctionne plus, et son bâtiment se détériore, s’abime, et se délabre. J’évoque ce cinéma, car il était un lieu historique pour toute la jeunesse citadine de mon époque. En effet, le Vox était l’unique salle de cinéma qui possédait deux places très convoitées, dans une cabine privée, au balcon, où les amoureux pouvaient flirter, s’embrasser et s’enlacer librement mais en toute intimité pendant les projections de films contenant des scènes d’amour. Alors, je me suis dit au fond de moi-même « Que reste-t-il de nos beaux jours « .

Puis, je me suis adressé aux fautifs en leur demandant « Qu’avez-vous fait de mon cinéma Vox ? »

Quelques jours plus tard, je me suis consolé de mon chagrin en accompagnant mon copain Khemaïs à Chogafia qui m’a fait du bien. Cette localité agricole fait partie de la délégation de Sbikha (ﺍﻟﺴﺒﻴﺨﺔ), et se trouve à une centaine de kilomètres à l’ouest de Sousse, et à une quarantaine de kilomètres au nord de Kairouan. Tout en aimant l’olivier, comme moi pour le plaisir, Khemaïs a aussi le goût du commerce agricole. Avec l’aide de son jeune frère Rached, il est en train de réaliser un projet commercial de location d’olivaison (ﺨﻀﺎﺮﺓ) chez les agriculteurs de Chogafia. Ses propres ouvriers cueillent les olives ; il les vend tels quels au marché local, ou il fait extraire de l’huile pour le vendre plus tard à bon prix. Il faut dire que, contrairement au Sahel de Sousse où l’oléiculture datait depuis les romains et même les phéniciens, celle du gouvernorat de Kairouan est très récente ; les oliviers sont donc jeunes. Mais grâce à l’abondance d’eau douce sous-terraine et non profonde, les agriculteurs kairounais arrosent leurs oliveraies ; ce qui leur permet d’avoir de bonnes récoltes malgré la sècheresse. Je comprends donc, le projet ambitieux de mon ami Khemaïs. Chemin faisant, nous avons eu le plaisir de voir défiler devant nos yeux les belles vallées et les jolies oliveraies de la campagne verdoyante de la région kairouanaise. Mais en approchant de Chogafia, nous avons remarqué, au bord de la route, la présence de jeunes garçons qui bavardent sur quelques petites terrasses de cafés, alors qu’en arrivant sur le lieu des oliveraies de Chogafia, j’ai constaté que ce sont plutôt des jeunes femmes qui pratiquent la cueillette des olives ; j’imagine qu’elles doivent s’occuper aussi des autres tâches du foyer.

Au final, j’avoue que ce petit voyage, à travers la campagne kairouanaise, et cette promenade au milieu des oliveraies chogafiennes, m’ont instillé une bonne dose thérapeutique rien qu’en contemplant ces jeunes oliviers pleinement ornés de fruits, tout en respirant l’air frais de la campagne verdoyante. Je me suis ainsi senti apaisé de ma précédente déprime soussienne. Mais le contraste demeure frappant : Sousse, la citadine, s’endorme sous ses décombres, et Kairouan, la rurale, se redresse par sa jeune oléiculture.

Dr. Abdelaziz Ben Jebria Dr. es-Sciences d’Etat en Biophysique à Université Paris 6

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